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Les Français piégés par leur moi national, par Alain Touraine
 

Première partie

Lisez le texte et répondez aux questions qui apparaissent dans la page suivante

La société française, depuis dix ans, semble incapable de changer de modèle culturel.

Préjuges républicains contre agressivité communautariste, voilà le blocage à dépasser de toute urgence.

Un changement profond s'est réalisé en France, en peu d'années. Pendant un long moment, on a pu parler d'intégration des enfants ou petits-enfants d'immigrés. Cette phase a connu des échecs autant que des réussites, mais elle a créé des espoirs durables.

Depuis une décennie au moins, nous vivons au contraire dans une phase de désintégration, marquée par le rejet des groupes minoritaires, par la fermeture de ceux-ci sur une défense communautariste et par le recours croissant à une violence qui traduit l'incapacité de la société française à changer de modèle culturel. Ce renversement de situation a été si rapide qu'il a été peu et mal perçu.

Cette dégradation est plus marquée en France qu'ailleurs. D'une part, parce que le réseau des relations de proximité s'est rompu plus complètement en France qu'en Italie ou en Allemagne, et, d'autre part, parce que l'intégration y a toujours été pensée en termes plus forts, ce qui a beaucoup d'aspects positifs mais rend aussi la désintégration plus grave.

Le républicanisme français s'identifie à l'universalisme, ce qui entraîne le plus souvent le rejet ou l'infériorisation de ceux qui sont "différents". Ces obstacles à l'intégration ont des causes profondes. Nous sommes loin d'avoir effacé les traces d'un long antiféminisme. Nous sommes marqués par une tradition coloniale. Nous avons aussi beaucoup de peine à comprendre que l'islam, comme le dit si bien la sociologue Nilufer Göle, est dans la modernité et non pas, tout entier, enfermé dans un passé prémoderne.

Le refus français des différences a aussi des raisons positives : rejet du communautarisme et défense de la citoyenneté (...) Mais ce refus du communautarisme doit s'associer à la reconnaissance des différences

 C'est-à-dire au droit de chaque individu de vivre dans le respect de ses appartenances culturelles. En particulier, en associant toujours la liberté des organisations religieuses et la liberté religieuse des individus.

Le risque est grand que les mesures de répression, qui relèvent de la responsabilité de l'Etat, renforcent un discours "sécuritaire", lequel rend encore plus difficile la perception de la réalité. Les Français ont besoin, au contraire, de réfléchir sur les raisons pour lesquelles ils sont mal préparés à comprendre la crise actuelle, en risquant ainsi de l'aggraver. Il n'y a pas que les individus "défavorisés" qui ont besoin d'un changement d'attitude à leur égard. La France comme société peut devenir une menace pour elle-même si elle ne parvient pas à combiner intégration et différences, universalisme et droits culturels de chacun, en dépassant l'opposition d'un républicanisme chargé de préjugés et de communautarismes chargés d'agressivité. (...)

Assurément, l'amélioration de l'emploi et le rétablissement des relations de proximité sont importants. Mais c'est à un niveau plus général, celui de la représentation de la société française par elle-même, que se situent les causes les plus profondes de la violence et de la désintégration. Il faut que, dans tous les secteurs de la vie nationale ­ - de l'enseignement aux services sociaux, de la police aux autorités municipales ­ - soit remis en question l'idéal que les Français se sont créé pour eux-mêmes.

Il n'est plus acceptable de penser et d'agir comme si la France était le dépositaire des valeurs universelles, et avait le droit, au nom de cette mission, de traiter comme inférieurs tous ceux qui ne correspondent pas à ce moi national idéal. La fausse conscience des Français quand ils parlent d'eux-mêmes explique la faible ouverture de la société aux sciences sociales. C'est, pourtant, de ce côté-là que peuvent venir les analyses qui aideront à sortir du cercle vicieux de l'exclusion, de l'enfermement communautaire et de la répression.

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